CELIBAT ET ENFANTS ILLEGITIMES AU PORTUGAL

Avant d'entreprendre mes recherches au Portugal, j'avais de ce pays l'image d'un peuple pieux et très respectueux des coutumes religieuses, or qu'elle ne fut pas ma surprise de découvrir très vite un nombre de mères célibataires beaucoup plus élevé qu'en France pour les mêmes périodes de recherche. Sans compter, ce qui me surpris encore plus, les hommes d'église toujours en fonction qui étaient pères.
Le terme de mère célibataire me semble plus approprié que celui d'enfant illégitime, car on trouve des femmes qui ont plusieurs enfants hors mariage, mais on trouve aussi la mention du nom du père dans le ou les actes de naissances des enfants ; ce dernier demeurant dans une autre paroisse ou un quartier différent de la mère : une union libre chacun chez soi pour certains.
Curieuse de cet état de fait assez particulier pour les périodes antérieures au XIXe, j'ai effectué quelques recherches afin de comprendre ce phénomène.
Le Portugal est  un des pays de l'Europe les plus frappés par les naissances hors mariages. L'illégitimité, étroitement associée au célibat, est un trait distinctif de la démographie portugaise. Il semblerait que les pratiques matrimoniales et successorales soient une des principales causes de ce phénomène.
Les naissances hors mariage sont majoritairement présentes dans le groupe des travailleurs agricoles, situé au plus bas de la hiérarchie sociale. Les mères célibataires sont souvent des journalières (jornaleiras), des femmes travailleuses agricoles célibataires qui ont un statut marginal et dépendant car elles survivent grâce au soutien des parents, des voisins sans avoir un quelconque statut social. Elles sont souvent au plus bas niveau de l'échelle sociale, ce qui les exclut de toute participation aux "concelhos" et à la "veillée des Saints". Ces fortes proportions de naissances hors mariages semblent être acceptées malgré une forte connotation morale négative.
Dans la plupart des cas les pères de ces enfants naturels sont également en bas de la hiérarchie sociale, excepté quelques cas d'abandon de fiancées ou de servantes séduites par leur patron. Le père inconnu n'est cependant pas si inconnu que ça. En général les pères sont connus, simplement ils ne reconnaissent pas leurs enfants. Ils se marient avec une autre femme, émigrent ou encore restent célibataires.
Une fois devenus adultes, ces enfants nés hors mariage qui ont partagé le statut social de leur mère et qui n'ont qu'une filiation maternelle s'ont vus différemment. Les filles de par leur condition de femmes paysannes et la nature de leur travail (domestique, journalière) sont plus vulnérables et sont plus exposées aux conditions de perpétuer leur statut d'enfant illégitime. En effet les femmes ne pourront pas dissocier la responsabilité qu'elles portent en cas de grossesses, alors que les hommes dans la même situation ne reconnaitront pas généralement leurs enfants naturels. Toutes les vraies célibataires se situent au sommet de l'échelle sociale, alors que le bas est peuplé de filles-mères.
Il semblerait néanmoins, qu'il y ait un lien entre illégitimité et système d'héritage. Jusqu'en 1977, l'ordre des héritiers est le suivant :
1. les descendants
2. les ascendants
3. les germains et leurs descendants
4. le conjoint
5. les autres collatéraux jusqu'au 6ème degré
6. l'état
Ce type d'héritage valorise fortement le lien parent/enfant et les relations entre germains au détriment du lien conjugal.
Les célibataires sont exclu(e)s du mariage mais pas de la propriété immobilière et du "prestige" notamment pour les femmes aisées. Les enfants illégitimes, eux, sont exclus de l'un et de l'autre car sans filiation paternelle.De plus, les familles fonctionnent en système de maisonnée avec un chef de ménage. Dans toute famille un certain nombre de personnes est alors amené soit à rester célibataire, soit à quitter le hameau car se marier ne signifie pas l'installation de la nouvelle famille dans une nouvelle maison. Bon nombre de gendres vivent chez leurs beaux-parents.
La coutume de l'enfant illégitime est telle que l'on trouve selon les régions des qualificatifs à ces derniers : bâtard, enfant naturel ou enfant des herbes (en référence aux champs), filho do Espirito Santo ou filho do vento  (au destin imprévisible), ou bien encore zorro (renard en espagnol) à la frontière nord-est avec l'Espagne.
 
[Sources : articles de E. Lechner, B. J. O'Neill, J. Pina Cabral - Recherches en anthropologie au Portugal]
 

 
 
 

Commentaires

  1. J'aime bien la formule "Les célibataires sont exclu(e)s du mariage" :-)

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    1. En s'excluant du mariage l'individu choisit (ou plutôt subit) dans la maisonnée le statut de célibataire qui lui donnera accès à l'héritage. Je trouve que l'antinomie entre ces deux termes définit bien cette condition.

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